Fire Records / FIRE 290 (GB), 07/01/2013
David Thomas : voix, piano, synthétiseurs, orgue
Keith Moliné : guitare, basse
Robert Wheeler : synthétiseurs, theremin
Michele Temple : basse, guitare, cloches
Steve Mehlman : batterie, orgue, voix
avec Gagarin : electronica, piano, orgue
Darryl Boon : Clarinette
Titres : Pere Ubu
Production : David Thomas
Ingénieur du son : Paul Hamann
Studios : Suma (Paisneville/Ohio), Nuke India Now (Hove) et Urban Iguana (NYC)
Graphisme : Alexandre Horn
Typographie : John Thompson
Photo : Kathy Ward Thompson
Le livre-compagnon du disque :
Enregistré sur plusieurs mois en 2010 et 2011 aux studios Suma (Paisneville), Nuke India Now (Hove) et Urban Iguana (NYC)
Pour la première fois de son histoire, le groupe a mis à disposition sur son site de téléchargement Hearpen.com les titres "en cours de progression" au fur et à mesure des séances. Ces versions de travail sont toujours disponibles sur le site.
Au sujet de ce projet, le groupe annonce pendant les sessions poursuivre le but de "régler son sort à la danse" !
Un livre intitulé Chinese Whispers, signé David Thomas, accompagne l'album.
Label | Référence | Pays | Date | Commentaires | |
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Fire Records | FIRECD290 | UK/ROW | 07/01/2013 | cd | |
Fire Records | FV290 | UK/ROW | 07/01/2013 | lp | double vinyle 45t/mn |
Fire Records/Disk Union | FIREDU290 | Japon | 03/2013 | cd | Ed. Fire diffusée par Disk Union (avec obi) |
Le Drone, 15 janvier 2013 (France)
Toujours un peu plus loin
Corto Maltese n'a rien à voir (ou, peut être, à bien y penser, un peu quand même) mais le nouvel album de Pere Ubu m'a fait penser au titre, magnifique et suggestif, d'un recueil de ses aventures du début des années soixante-dix, Toujours Un Peu Plus Loin.
L'objectif du groupe, cette fois, est de régler son compte à la musique de danse et voilà le slogan qui apparaît une fois que l'on a ouvert le cd : "Smash the hegemony of dance. Stand still."
Entreprise ardue et pour la réaliser, David Thomas et ses collègues élaborent un ensemble de règles à suivre pour la composition et l'enregistrement des morceaux. C'est le "téléphone sans fil" ("Chinese Whispers") qui consiste à faire circuler de bouche à oreille, d'une personne à une autre placées en cercle, une phrase inventée et qui, à la fin, est complètement transformée. Voici pour résumer et simplifier les principales règles tirées du livre, Chinese Whispers, qui accompagne l'album.
Les membres du groupe ne répètent jamais tous ensemble et David Thomas, en particulier, ne participe pas aux répétitions. L'objectif est aussi d'aller à l'encontre de la conviction naturelle du musicien qu'il existe une bonne et une mauvaise façon de jouer une chanson et de faire en sorte que l'imprévisible puisse faire partie du processus de composition.
Les textes ont été écrits à partir d'un noyau d'idées puis improvisés phrase par phrase et vers par vers sans plus aucune révision. La signification émerge d'elle-même au cours de la composition.
Le producteur, une nouvelle fois David Thomas, est le seul qui soit autorisé à voir l'oeuvre ("The Big Picture") pendant sa création. En effet, cela est défendu au musicien qui, disposant d'un minimum d'informations (moins on parle, mieux c'est), travaille isolé, à l'abri des conditionnements. Le but est d'en capturer la voix pendant qu'il essaie de tirer la Signification d'un ensemble de doutes, contradictions, espoirs, craintes, informations et désinformations (telle est la nature de la vie réelle, fin ultime de l'Art). Il fournira ainsi une contribution personnelle et unique qui sera mise au service de la chanson. Cette contribution, sous forme d'enregistrement, est élaborée avec le producteur qui la passe au musicien suivant. C'est ainsi que la chanson adopte des formes inattendues et se développe en prenant des directions imprévisibles.
La collaboration entre des personnes de talent et le respect de la méthode établie garantissent un résultat unique.
Cela dit, l'échec peut toujours être là. Mais ce n'est pas nouveau, c'est une histoire ancienne qui remonte à l'époque des premiers festivals à Cleveland, en 1977 et 1978, appelés à dessein Disastrodrome.
Les nouvelles chansons, ainsi traitées, semblent traversées par une lumière artificielle et restituent une impression aseptique, folle, aliénée. Les sons électroniques, les claviers, les rythmiques répétitives prédominent.
J'imagine le groupe jouant les morceaux de l'album dans une discothèque d'un futur proche, des chansons transfigurées, conçues pour une "Dance Music" qui n'envisage pas la danse. Et puis j'imagine des visions d'espaces ouverts et les lumières de la discothèque se transformer en réverbères et phares de voiture dans la nuit. Comme si, métaphore de toute sa carrière, le groupe ne pouvait pas se tenir trop longtemps à la même place et sentait, comme toujours, l'urgence de reprendre son chemin, sa route, tout juste là dehors.
Et, en effet, au côté de morceaux comme Thanks (qui copie/défigure le hit disco Ring The Bell), Free White ou Mandy en figurent d'autres (mes préférés) comme Musicians Are Scum, Another One, Road Trip Of Bipasha Ahmed et Lampshade Man plus proches de l'esprit dont il était question et au canon "classique" du répertoire du groupe.
Magnifique aussi, la chanson 414 Seconds, inspirée par le titre et le début de 30 Seconds Over Tokyo, révèle Keith Moliné. Carpenter Sun est le dernier morceau, celui qui en principe indique le point de départ pour le disque suivant. Il compte parmi les plus abstraits et insondables, caractérisé par des sons électroniques qui se propagent de façon autonome, comme les images reflétées dans les miroirs dans la fin du film qui inspire le titre de l'album. Qui sait où ils accosteront ?
Lady From Shanghai n'est pas un disque facile mais nous aimons suivre ce groupe dans son parcours, toujours animé par une fièvre intérieures, comme s'il avait une mission à accomplir : chercher de nouveaux chemins.
Voici un groupe qui, similitude avec Corto Maltese, est toujours à contre-courant, insouciant de rompre les conventions, disposé à renoncer à son profit plutôt qu'à ses idées. Un groupe différent.
Gabriele Carlini (mars 2013)
En y réfléchissant bien, Pere Ubu a toujours fait une musique qui se danse. Cela ne devient que plus évident lors des performances scéniques du groupe où le corps se lance dans des gestuelles grotesques et déstructurées sans que l'on ne puisse plus le contrôler. Leur premier album ne s'appelait-il pas The Modern Dance ? Et même s'il est vrai que cet album donne particulièrement envie de bouger (les premiers titres maintiennent le beat sans temps mort), il se révèle être aussi un des plus abstraits et électroniques que le projet originaire de Cleveland ait réalisé jusqu'à présent.
ll suffit d'écouter le bruitiste et psychiatrique The Carpenter Sun ou l'étrange And Then Nothing Happened qui commence comme un bon vieux titre post-punk avant de muter en une improvisation hallucinée accompagnée du son des cloches. Pour le reste, toutes les qualités d'un grand disque de Pere Ubu sont là. Les ambiances de film noir suggérées par le titre sont bien sûr présentes (The Road Trip To Bishama Ahmed). L'humour tient un rôle important (Thanks annonce brillamment la couleur). La voix de David Thomas reste toujours aussi haut perchée que celle d'un nouveau-né qu'on égorge (le nerveux et insistant Lampshade Man) et certains titres s'affirment déjà comme des classiques (le génial Mandy avec ses belles sonorités de clarinette). L'accent est mis plus que jamais sur le matériel électronique, essentiellement analogique, et le thérémine est abandonné : EML-101, Xiosynth 25, Korg iMS-20, Korg Monotron, etc. Les lignes de basse de Michele Temple font mouche, Steve Mehlman se révèle toujours aussi créatif avec ses percussions, essayant de se frayer un chemin parmi toutes ces boîtes à rythmes, alors que Keith Moliné et Robert Wheeler s'en donnent à coeur joie. Un grand cru, qui s'accompagne de la sortie du livre Chinese Whispers sur tous les secrets de création du disque.
Mäx Lachaud, Obsküre, n°13, Janvier 2013
Où est-ce que j'ai bien pu fourrer la notice qui m'expliquerait comment fonctionne cette Lady Of Shanghai, nouvel album de Pere Ubu que j'essaie, en vain, de me convaincre de ne pas totalement détester depuis que j'ai posé une oreille dessus ? Je ne la retrouve pas. Tout simplement parce que je ne l'ai jamais eue, ce mode d`emploi étant vendu séparément. Sous la forme d'un petit bouquin intitulé Chinese Whispers. On peut lire un long extrait de ce making of Pere Ubu's Lady Of Shanghai, sur le site de l'Ubu Projex, et j'ai le triste sentiment que les liners notes de ce dix-septième album d'Ubu (ils le précisent alors je le répète bêtement, je ne me suis pas amusé à recompter) sont largement plus passionnantes que l'album à proprement parler.
Un disque générateur d'ennui. Certainement car le but était ici de créer une oeuvre onirique, un disque sur le rêve, ou le sommeil, le genre même de truc arty as fuck qui plait aux intellectuels de bonne école qui préfèrent épiloguer sur les concepts se cachant derrière certains disques plutôt qu'écouter la musique qu'ils contiennent. Car avec cette Dame de Shanghai, niveau excitation des sens auditifs, il va falloir faire ceinture. Une fois que l'on aura expliqué que David Thomas marmonne quelques inepties, assis, les yeux clos et d'une voix narcoleptique, sur de l'electronica de bas de gamme - ou de l'electronica tout court, effectivement, ça ne fait aucune différence -, on aura fait le tour du problème. Comme si le vieux tyran invalide avait ordonné à ses troupes obéissantes de faire le maximum pour laisser le moteur de la créativité au point mort. Interdiction absolue de songer à passer à l'action, sous peine de sévères réprimandes ! C'est bien sûr volontaire, mais les morceaux de ce disque ne vont réellement nulle part, ne se développent pas, tracent une ligne droite qui mène à l'immobilité la plus totale. Jusqu'à ce qu'un ennui incoercible se mette à frapper très fort aux portes de l'avant-garage. Puisqu'il s'agit malgré tout de Pere Ubu, un des dix plus grands groupes de l'Histoire du rock, on s'ouvre aux excuses, puis on concède que tout n'est pas non plus complètement à chier dans cet opus opiacé. On a même l'occasion de rire, surtout quand on sait que la chose est présentée comme un album de "dance music fixed". Qui commence par un court morceau parfaitement insignifiant intitulé Thanks et ou David Thomas chantonne, sur l'air du vieux tube disco, Ring My Bell, "you can go to hell, go to hell". Rires gras. C'est très drôle la première lois. La seconde, ça fait se demander comment on peut décider de faire commencer un album par un détritus dont Ubu se serait à peine satisfait pour une face B de la période The Tenement Year.
Des clins d'oeil grossiers et des retours en arrière, au plein coeur de l'Histoire de la musique, Dave Thomas en remonte quelques autres à la surface. Sur le pénible Feuksley Ma'am, The Hearing, on entend un sample de Mary Had A Little Lamp, le premier enregistrement de tous les temps, réalisé par Thomas Edison en personne en 1877. La blague dure 5 minutes et 12 secondes, le sample en question est répété à l'infini. Assez de temps pour se les gratter à profusion. Sur le tout juste passable Another One, il nous rappelle que Maybellene fut un temps un prénom qui inspirait quelques sauvages armés de guitares électrifiées. Sur Musicians Are Scum (enfin un titre-vérité !), une des rares éclairs du disque, c'est le vivifiant Time! du génial Time As Come Today des Chambers Brothers qui fait sa réapparition pour nous tirer de notre lourd sommeil. Comme pour signifier que pour la première fois depuis le début de l'album (on en est à la sixième plage), quelque chose s'est mis en place. On entend un peu la guitare de Keith Moliné, la basse de la minuscule Michelle Temple est perceptible, au loin, les oscillations de Robert Wheeler rappellent de bons souvenirs, et, enfin, le batteur à la teinture de cheveux la plus grotesque de Cleveland, Steve Mehlman, se décide à taper sur sa batterie. Le véritable indice, l'explication de la non-direction prise pour cet album, tient en un seul titre : And Then Nothing Happened. Tout est là, tout est dit. Le réveil se fait pendant exactement une minute quinze. On se régale de retrouver un Ubu inspiré et fringant, et puis paf, lors des trois minutes restantes, il retombe inexplicablement dans le coma. L'effet escompté survient : on râle, on peste, les insultes ne vont pas commencer à tomber, et au moment où on s'y attend le moins, pointe la lumière tamisée de ... Lampshade Man ... finalement assez frustrant, lui aussi. Le plan de guitare, même s'il ressemble à une ligne détraquée qu'aurait commanditée Captain Beefheart pour son Doc At The Radar Station, est plutôt bon, mais absolument rien d'intéressant ne se tisse autour, alors qu'Ubu avait là matière pour composer un nouveau classique de son répertoire à rallonge. Au lieu de ça, on continue de se les gratter avec vigueur.
Alors, il est donc tout vide tout plat barbant de bout en bout, cet Ubu nouveau ? Absolument pas. Il contient aussi LE grand moment, qui à lui seul sauverait presque les meubles. Musicalement, 414 Seconds est largement moins assommant que ses petits camarades. Il contient surtout, verbalement, l'explication qui permettra aux rêveurs de continuer à rêver : "What part of the dream is true? What part of the truth is a dream?" Bref, David Thomas aurait certainement mieux fait de sortir ce disque sous son seul nom, de façon encore plus inaperçue.
Bil, New Noise, n°15, Mars 2013
Quarante ans et toutes ses dents
S'il s'est perdu dans les limbes d'une pop convenue dans les 8O's, le padre n'a cessé de faire vrombir son moteur post-punk depuis le crasseux "Ray Gun Suitcase". Ce quatorzième album studio ne déroge pas à cette ligne de conduite inflexible et continue, à travers le prisme rutilant de David Thomas, de faire suinter les amplis avec une épaisse coulée de graisse. "Thanks" s'inscrit comme l'un des héritiers hypnotiques du krautrock et "Free White" plonge le dancefloor dans un nauséeux bain d'éther, avec des réverbérations de guitare à vous faire sauter le caisson dans un tonnerre de tous les diables. Même topo avec les expérimentaux "Feuksley Ma'am, The Hearing" et "And Then Nothing Happened" qui cherchent avant tout a défier l'auditeur en empilant les sonorités les plus stridentes comme autant de névroses sordides. Après quarante ans de carrière, ces artrockers aux allures de cénobites prennent toujours un malin plaisir à nous torturer. Et le pire dans tout ça, c'est qu'on se laisse volontiers prendre au jeu.
Thomas Mafrouche, Plugged, n°10, Avril 2013
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